DE LA PIPE.
Il faut tâcher de donner le goût de la pipe au
cavalier léger.
H. Pourquoi?
B. Parce qu'elle le tient éveillé.
La pipe est une distraction secondaire, qui,
loin d'éloigner le cavalier de son service, l'y attache et le lui rend moins pénible. Elle endort,
elle use l'inutilité du temps et de la pensée, et retient l'homme au bivouac, près de son cheval.
Pendant qu'on y fume sa pipe, assis sur une
botte de foin ou d'herbe, personne ne s'avise
d'ôter la nourriture de ce cheval pour la donner à un autre; on est sûr qu'il mange, qu'il ne reçoit pas de coups de pieds; les provisions de sa
besace ne sont pas volées; puis on s'aperçoit des
réparations à faire à son harnachement, de la
mauvaise assiette de son paquetage etc. On
garde sans s'ennuyer le cheval d'un camarade,
et ce camarade, auquel vous rendez service, va
chercher de l'eau, du fourrage, des vivres dont
vous avez besoin.
L'heure de relever la grand'garde arrive;
vous partez. le sommeil vous est interdit
De quelle ressource n'est pas alors la pipe qui
chasse ce sommeil, hâte les heures, rend la pluie
moins froide, la faim, la soif moins poignantes,
etc.
Et si vous avez de longues marchés de nuit,
après la fatigue d'une journée active, ces marches où le sommeil, en vous accablant, est une souffrance véritable, invincible, et cause de
nombreuses et graves blessures aux chevaux.
Rien ne vous tient mieux éveillé que l'usage de
la pipe.
La pipe nous force à porter un briquent et de
l'amadou; avec ce briquet et cet amadou, nous
allumons aussi un feu de bivouac
Il n'y a pas de petites choses en campagne, où
l'homme est réduit à de si faibles ressources, qui n'ait son degré d'importance. La pipe est un
moyen d'échange, de jouissance et de service,
dans notre vie de relation fraternelle; prêtée dans
certains cas, elle devient un secours.
Quoiqu'on dise Aristote et sa docte cabale fumez,
et faites fumer vos chasseurs.
(De Brack, Avant-postes de cavalerie légère)